Monday 30 May 2011

Crise à Développement et Paix - Tutelle des évêques sur l'organisme laïque d'aide internationale

Les jésuites du Canada et du Mexique se portent à la défense d'un centre de protection des droits humains à Mexico auquel Développement et Paix (D&P), l'organisme officiel de l'Église canadienne, a coupé les fonds. Leurs supérieurs provinciaux se déclarent aussi solidaires du jésuite Luis Arriaga, fondateur du centre, que l'archevêque d'Ottawa, Mgr Terrence Prendergast, avait interdit dans son diocèse, en avril dernier, lors de la campagne «Carême de partage».

Dans un communiqué diffusé le 25 mai, les supérieurs du Canada français, Jean-Marc Biron, du Canada anglais, Jim Webb, et du Mexique, Carlos Morfin Otero, appuient «l'intégrité du travail» du Centre Miguel Pro pour les droits humains de Mexico (PRODH) et de son directeur, «un engagement porteur de l'enseignement social de l'Église catholique». Ils prennent ainsi leurs distances de groupes qui accusent ce centre de contribuer à la «promotion de l'avortement au Mexique».

Le centre PRODH représente devant les tribunaux des victimes d'abus de pouvoir, de répression et d'injustice. D&P reconnaît que cette mission n'est en rien liée à l'avortement ou même à la contraception. Mais des évêques mexicains avaient soulevé des questions à ce sujet. Et c'est en considération de ces préoccupations au sein de «l'Église du Mexique» que l'archevêque d'Ottawa puis D&P prétendent avoir mis fin à un partenariat datant de 1995.

Les supérieurs jésuites rappellent qu'une commission d'enquête des évêques du Canada avait conclu, en 2009, que le centre en question n'avait pas participé à la promotion de l'avortement. Mais, depuis, l'un des signataires du rapport, Martin Currie, archevêque de St. John's (Terre-Neuve), a été cité par LifeSiteNews disant que D&P a participé à sa rédaction. L'autre signataire, François Lapierre, évêque de Saint-Hyacinthe, nie catégoriquement une telle collusion.

Vu la violence généralisée au Mexique, le travail du père Arriaga et des membres de PRODH représente, estiment les supérieurs jésuites, «un engagement constant pour le droit à la vie» de toutes les personnes du pays. «La vie de ces défenseurs des droits humains est elle-même souvent menacée, déclarent-ils, et c'est la solidarité internationale que nous leur témoignons qui leur permet de poursuivre leur engagement indispensable.»

«Plus largement, le témoignage chrétien pour la promotion de la justice et la promotion des droits de la personne qui lui est lié s'exerce aux frontières, dans des contextes difficiles où les partisans du statu quo mettent tout en oeuvre pour bloquer l'avancement des valeurs évangéliques fondamentales. Dans ces circonstances, les personnes qui s'engagent sur ce terrain, comme le font le P. Luis Arriaga et son équipe, méritent notre appui.»

Réactions

Toutefois, la crise à D&P ne tient pas simplement à un malentendu entre ecclésiastiques ou même à un différend sur l'avortement. En donnant récemment aux évêques du Mexique et d'ailleurs un droit de veto sur les partenaires de D&P et donc sur les réseaux de solidarité sociale avec lesquels ils agissent, la Conférence des évêques catholiques du Canada met en tutelle une des rares organisations laïques de l'Église catholique.

Des membres de D&P ont réagi fortement contre ces décisions, prises à leur insu. Plusieurs s'insurgent contre la haute direction de l'organisation, qui a cédé à ces pressions et tente, depuis, de confiner le débat à l'«interne». Des membres du Québec et du Nouveau-Brunswick, réunis en assemblée régionale, ont réclamé le rétablissement du financement de PRODH. On déplore aussi que la Conférence des évêques ait créé un comité permanent sur l'orientation de D&P sans représentants de cette organisation.

Pour D&P, l'enjeu est fondamental. Cette organisation confessionnelle de solidarité internationale compte quelque 12 000 membres au Canada. Des dizaines de milliers de donateurs lui permettent d'appuyer près de 200 groupes partenaires dans une trentaine de pays. Certains de ces projets ont été suscités par l'Église catholique et jouissent de son appui. Mais d'autres ne pourraient naître ou survivre si leur travail dépendait d'une décision de l'évêque local.

Dénonciations

Là où l'Église est minoritaire, D&P appuie aussi des groupes qui ne sont pas de foi chrétienne. C'est le cas en Indonésie. Et dans les pays où des conflits mettent en cause des communautés de croyances différentes, D&P ne pourrait contribuer ni au développement ni à la paix sans collaborer avec d'autres confessions ou avec des ethnies qui n'appartiennent pas à l'Église locale. Un recul à cet égard risque même, dit-on, de compromettre une part de son partenariat avec l'Agence canadienne de développement international.

Aussi, des associations ont-elles décidé de ne pas se taire. L'Entraide missionnaire dénonce les attaques de groupes «d'idéologie conservatrice» et la «complicité de quelques évêques, surtout anglophones». Le Réseau Culture et Foi, dans une lettre au président de la Conférence des évêques, Mgr Pierre Morissette, l'évêque de Saint-Jérôme, s'est dit scandalisé non seulement de l'intervention de Mgr Prendergast, mais surtout du «silence total» de la Conférence sur sa conduite, jugée «irresponsable».

Les évêques ne sont pas tous de cette tendance. Commentant les premières attaques pro-vie contre D&P en 2009, l'archevêque de Winnipeg, James Weisgerber, un ex-président de la Conférence, avait alors cité l'exemple du Vatican, qui contribue chaque année à l'UNICEF, l'agence de l'ONU pour les enfants, malgré son désaccord avec elle sur l'avortement et la contraception.

Mais d'autres vues du Vatican sont plus inquiétantes pour les organismes catholiques d'aide aux populations opprimées. Et aussi pour la responsabilité des laïcs dans l'Église catholique.

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redaction@ledevoir.com

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Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l'Université de Montréal.

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