L’agonie de l'organisme Développement et Paix - Une crise entre les laïcs et les évêques catholiques
Jean-Claude Leclerc 26 novembre 2012 Éthique et religion
Photo : La Presse canadienne (photo) Adrian Wyld
Alors que les évêques se sont immiscés dans le débat autour de la motion controversée du conservateur pro-vie Stephen Woodworth (ci-dessus), ils ont gardé le silence lorsque le gouvernement a coupé dans l’aide au développement ou en a modifié les règles.
Développement et Paix (D & P) est à l’agonie. Sous la pression d’évêques pro-vie et faute de subventions fédérales suffisantes, le gros du personnel est parti, pour laisser plutôt aux projets d’aide en pays pauvres les fonds encore disponibles. La dernière campagne de souscription, révisée par la haute hiérarchie, en aura marqué l’implosion, alors que les membres laïques voulaient alors interpeller la politique du cabinet Harper en faveur des minières canadiennes à l’étranger.
Les « modifications » à cette campagne ont été faites à l’initiative de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC). Ces autorités ont voulu rassurer les membres de l’organisation. La raison de ces changements était « simple », leur ont-elles déclaré. Lors d’une réunion entre la direction de la CECC et celle de D & P, « une préoccupation a été soulevée selon laquelle le matériel présenté pourrait être une source de division entre les évêques, les prêtres, les paroissiens et les bienfaiteurs ».
« L’absence d’unité risque de compromettre notre témoignage chrétien de justice et de charité, ajoutaient-ils. Ces préoccupations ont été prises très au sérieux. Développement et Paix a décidé de réviser le matériel de sa campagne. » Toutefois, cette initiative aura surpris des évêques proches de l’organisation, mais surtout le personnel et des membres de D & P qui y « militent depuis 20 à 30 ans ».
Ainsi, à Valleyfield, le conseil diocésain de D & P a publié un communiqué dénonçant les « modifications » et l’intervention de la CECC. « Nous ne reconnaissons plus notre organisme », écrivent-ils. « Cet organisme laïc est pris en otage par un petit nombre d’évêques liés au pouvoir politique et à la droite religieuse. » Ils estiment ne plus pouvoir « garder silence et être complices du sabordage de Développement et Paix » et de « sa mission prophétique ».
Cette mission doit être une mission, disent-ils, « de transformation sociale et de signe d’espérance pour les femmes et les hommes les plus vulnérables ». Toujours solidaires de D & P, ils croient que l’organisme peut rester « un agent de dénonciation des structures de l’appauvrissement des pays du sud et une conscience sociale pour les gens d’ici ». Entre-temps la déchirure semble s’agrandir au sein de l’Église catholique.
Ainsi, au moment où les Communes allaient débattre de la motion d’un conservateur pro-vie, les évêques invitaient tous les députés à « prendre en compte le caractère sacré de l’enfant à naître et de chaque vie humaine ». Ils encourageaient les catholiques du pays à prier pour que les parlementaires aient « la sagesse et le courage » de promouvoir le bien commun, « qui se fonde sur le respect de la dignité humaine de tous et de chacun ». Mais, auront noté des gens de D & P, ils restent cois sur le détournement de l’aide fédérale jusqu’ici réservée aux populations du tiers-monde.
Si de rares évêques de l’Ouest canadien s’inquiétaient en 2009 de l’exploitation des sables bitumineux, la CECC, plus récemment, n’est pas intervenue quant aux coupures de fonds de l’ACDI à des ONG socialement « engagées », dont Développement et Paix. Les évêques catholiques ne se sont pas non plus prononcés sur la politique fédérale confiant aux minières d’ici l’aide canadienne aux pays d’Afrique ou d’Amérique du Sud.
Enjeux moraux
D’importants enjeux d’ordre moral sont pourtant en cause. D’abord, les minières, les canadiennes comme les autres, excellent à extraire les ressources qui les attirent. Elles réussissent en général à bien s’entendre avec les régimes en place, dont plusieurs sont faibles, corrompus ou autoritaires. Elles sont en plus réputées pour fort peu tenir compte des populations locales. Et leur compétence en développement socio-économique n’est pas évidente.
Ensuite, l’expérience enseigne que les petites et moyennes entreprises locales contribuent au développement des populations et de leurs conditions de vie davantage que les multinationales dont les choix sont dictés, non par les besoins de ces gens, mais par les exigences des actionnaires et les fluctuations des marchés. En misant plutôt sur les multinationales canadiennes, fussent-elles liées à des ONG d’ici, le cabinet Harper ne fait-il pas œuvre de favoritisme électoral à même les fonds fédéraux ?
Enfin, qu’il s’agisse d’entreprises à but économique ou d’organisations philanthropiques, l’aide internationale s’est souvent révélée être un échec dans les pays privés de gouvernement compétent et honnête. Par contre, les millions de l’aide au « développement » auront attiré les exploiteurs étrangers et incité les profiteurs de tout acabit à se ruer sur le gouvernement du pays. Comment mieux étouffer tout effort de progrès social et démocratique ?
L’agonie de Développement et Paix aura mis en relief des enjeux éthiques de cette nature, dans le milieu de la coopération au pays, mais aussi parmi les organisations catholiques. Que de tels enjeux aient cependant échappé à des évêques qui prétendent, à l’occasion, donner en matière de justice économique et sociale un éclairage moral aux autorités civiles et aux « gens de bonne volonté », confirme, s’il en était besoin, un problème de leadership au sein de l’Église catholique.
Car l’échec des grandes compagnies est patent dans les régions excentriques ou autochtones du Canada, une situation que tout évêque est à même de constater. De même, ailleurs sur la planète, les injustices économiques et sociales affligent les pauvres, notamment les femmes et les enfants, ce dont les missionnaires canadiens sont des témoins éloquents. Dès lors, le rôle ambigu d’un épiscopat devenu plus proche d’une mouvance sectaire que de ses propres fidèles risque d’en blesser plus d’un.
Jean-Claude Leclerc enseigne le journalisme à l’Université de Montréal.
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