M. Michael Casey
Directeur de Développement et Paix
Monsieur Casey,
En tant que communauté religieuse partenaire de Développement et Paix (D&P) depuis sa fondation, nous avons suivi de près le débat qui concerne les orientations de cet organisme, en particulier les choix qui ont été faits à propos de la campagne d’automne 2012.
Le fondement de notre soutien à certains organismes de coopération internationale se situe dans le choix qu’ils font d’allier un soutien financier à des projets de développement et de justice sociale et d’entreprendre un travail d’éducation sur les causes des injustices à la base de la pauvreté et du mal-développement.
Par travail d’éducation, nous entendons la sensibilisation et l’information sur des mesures prises par des institutions privées et publiques qui ont un impact sur l’accroissement ou le maintien de situations d’injustice. Pour nous, pour être complet, ce travail d’éducation doit s’accompagner de moyens d’actions appropriés pour transformer la situation vers plus de justice et d’équité. Il n’y a pas de véritable travail de conscientisation à une pleine citoyenneté, si celui-ci ne facilite pas l’exercice même de cette citoyenneté.
Voilà pourquoi nous ajoutons notre voix à celle de toutes les personnes qui remettent en question le choix de la direction de D&P de mettre au rancart le matériel prévu pour la campagne d’automne 2012 suite à des pressions de certains évêques qui, semble-t-il, jugeaient le matériel « trop politique ». Une carte postale adressée à M. Harper exprimant notre désaccord avec les coupures et les nouvelles orientations de la politique d’aide internationale du Canada serait à l’origine de cette dissension.
Nous avons pris connaissance de votre lettre du 29 octobre 2012 adressée aux membres individuels de D&P. Ce qui est mis en évidence, c’est la nostalgie des Noëls d’antan ou des Noëls familiaux dans des pays en développement. Le tout accompagné d’une étoile « pour décorer notre sapin » et qui « rappelle l’étoile de Bethléem qui guida les Rois Mages vers l’enfant Jésus ».
Sauf une invitation à renouveler notre don, aucun geste de prise de parole n’est proposé à propos des choix de notre gouvernement. Sans cohérence de notre part à ces deux niveaux, nous risquons de donner carte blanche à notre gouvernement pour saboter par ses politiques tous nos efforts de solidarité internationale.
Qu’est-ce qui distinguera cette étoile des autres étoiles de Wall Mart dans les sapins? Vous nous pardonnerez d’avoir perçu dans cette symbolique un caractère superficiel et infantilisant. Ce dont D&P ne nous avait pas habitués.
Nous ne sommes pas sûres que le recours au sentimentalisme et à la nostalgie des Noëls d’antan soit le meilleur moyen pour faire en sorte « que la lumière soit là pour tous à Noël ». Nous sommes de ces gens qui souhaitons ardemment « que la lumière soit là pour tous »…à tous les jours de l’année! Et cela exige un travail d’analyse et des gestes qui aient un caractère politique.
Pourtant, la lucidité ne manque pas à D&P. Sur la première page d’un « document de discussion », le constat est indiqué en caractère gras et se veut clair : « PLUS QUE JAMAIS, LE MONDE A BESOIN DE NOTRE SOLIDARITÉ ».
Sur la page 3, en caractères encore plus grands, la reconnaissance des faits se fait péremptoire : « UNE AIDE INTERNATIONALE INADÉQUATE FACE AUX BESOINS DE L’HUMANITÉ ». Et D&P décrit très bien les politiques du gouvernement Harper quant à l’aide internationale.
Devant cet état de fait, nous vous faisons part des questions qui nous habitent :
Pourquoi le « document de discussion » vient-il après la décision de la direction de mettre au rancart le matériel de campagne d’automne 2012? Comment ne pas y voir une tentative de faire avaler la pilule après-coup sous des apparences d’ouverture démocratique et de transparence?
Pourquoi le « document de discussion » n’inclut pas une proposition de moyens d’action? Ne serait-ce pas une façon de soumettre ceux-ci au discernement des membres afin qu’ils consolident vos choix et qu’ils se les approprient avec plus de détermination? Les discussions, limitées à elles-mêmes, n’ont jamais produit les changements escomptés.
Quelle est la portée d’un « document de discussion », si excellent soit-il au niveau de l’analyse des faits, si aucune stratégie n’est proposée pour favoriser cette discussion, pour en colliger toutes les données et pour orienter notre action en fonction des consensus établis?
Nous croyons que les populations du Sud constituent les principales victimes de la fracture actuelle à D&P. Est-il trop tard pour profiter de la crise afin d’organiser un débat démocratique avec tous les membres de Développement et Paix de sorte qu’ils aient la chance d’exprimer leurs idées sur les meilleurs moyens qu’ils identifient pour relever les défis du développement au XXI ème siècle?
Nous terminons par une demande précise. Comme les cartes postales de la campagne 2012 ont été imprimées grâce à l’argent collecté auprès des chrétiennes et des chrétiens sur la base de l’orientation historique de D&P, que ces cartes leur soient remises. Elles leur appartiennent. Libres à elles et à eux de les utiliser ou non.
Enfin, nous tenons à rappeler que notre solidarité avec les peuples en développement leur est acquise et est non négociable. Pour exprimer cette solidarité, nous pouvons compter sur plusieurs organismes crédibles. Comme organisme d’Église, nous souhaitons que D&P puisse continuer à être de ceux-là en assoyant sa crédibilité sur le jugement et le discernement du peuple de Dieu (Vatican II).C’est pour nous la condition de notre partenariat futur avec D&P.
En vous remerciant de l’attention portée à notre lettre.
Pierrette Bertrand, OFSJ
Supérieure générale
Cc : - Mgr Richard Smith, président de la Conférence des évêques catholiques du Canada
- Mgr Pierre-André Fournier, président de l’Assemblée des évêques du Québec
- Mgr Jean Gagnon, président du Comité des Affaires sociales de l’Assemblée des évêques du Québec
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